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Date : 01-05-2024 03:07:05
Edito d'hier de Jean Staune (philosophe des sciences, chargé de cours à HEC) :
En ce début d'année 2024, la vente des voitures électriques est en baisse sur les trois principaux marchés mondiaux : les États-Unis, la Chine et l'Europe. L'information interroge quand on connaît l'obligation de ne vendre que des véhicules électriques à partir de 2035 — soit dans 11 ans seulement ! De son côté, la France fait pour l'instant exception, car le marché a bénéficié d'un dispositif temporaire permettant de subventionner 50 000 ventes. À l'inverse, en Allemagne, la chute atteint les 29 % sur un an ! C'est dans ce pays, pourtant fer de lance de l'énergie d'origine écologique, que la réticence est la plus importante : en 2021, Mercedes avait annoncé, en bon élève, vouloir atteindre l'objectif dès 2030 pour prendre de l'avance sur la règlementation; trois ans après, l'entreprise vient d'annoncer qu'elle allait y renoncer, se contentant de 50 % de véhicules électriques ou hybrides en 2030 — objectif prévu dans son plan initial pour... 2025.
Plus généralement, l'incertitude grandit autour de cette question : depuis plus de deux ans, la possibilité de remettre en cause l'objectif obligatoire pour tous les pays de l'UE est discutée — au grand dam des professionnels du secteur soumis à des injonctions contradictoires. Commence en outre à émerger un constat, quoiqu'un peu tard : celui du cadeau extraordinaire que l'on est en train de faire à l'industrie chinoise. En effet, la Chine, qui était déjà le premier marché automobile de la planète, est devenue depuis peu le premier exportateur, triplant ses ventes de voitures à l'étranger en trois ans, dont un tiers de véhicules déjà électriques (malgré leur statut de premier marché du monde, les constructeurs chinois avouent ne pas pouvoir rattraper les occidentaux en termes de qualité et de performances des véhicules thermiques, car ils ont trop de retard sur eux)
En fait, il est beaucoup plus facile de partir d'une page blanche sur une autre technologie que de transformer un ancien système. On peut, à cet égard, observer l'exemple des constructeurs de montres classiques : ils n'ont pas réussi à percer sur le marché des montres électriques, sauf dans le cas de Swatch qui, justement, était un nouveau venu dans le domaine. En Occident, la position dominante de Tesla prouve qu'un nouveau joueur compétent est bien plus avantagé qu'un constructeur classique. General Motors ou Volkswagen essayent de se transformer en constructeurs du « tout électrique ». Or, les autres nouveaux constructeurs américains ne décollent pas. Quant à un nouveau constructeur européen, n'en rêvons même pas ! ...
En Chine, Xiaomi, entreprise mondialement connue pour ses téléphones portables, vient d'annoncer le lancement de sa première voiture électrique, la SU7. Cette auto, qui est une copie quasi conforme de la Porsche Panamera, offre un intérieur et des options du même niveau que sa rivale allemande, mais pour quatre fois moins cher (autour de 28 000 €). Ce prix compétitif risque cependant de faire perdre de l'argent à l'entreprise : le modèle a connu un succès de vente retentissant, à tel point que 120 000 commandes ont été écoulées en 36 heures. L'entreprise a ensuite dû arrêter ses ventes, car elle avait atteint sa production annuelle. Elle compte bien cependant passer rapidement à 300 000 exemplaires. Cette dynamique s'observe à grande échelle, puisque le marché intérieur des voitures électriques chinoises devrait doubler d'ici 5 ans. Surfant sur ce gigantesque marché intérieur, le constructeur BYD, encore largement méconnu, concurrence désormais sérieusement Tesla pour la première place mondiale dans les véhicules électriques.
Ce qui est intéressant, c'est que l'annonce de Mercedes de renoncer au tout électrique pour 2030 a fait trembler... les Chinois. Car si l'Europe abandonne son objectif du « tout électrique », c'est l'économie chinoise qui risque d'en payer le prix. Toutefois, les mécanismes mis en place en Europe pour inciter à l'électrique ont de quoi les rassurer : par exemple, les voitures à moteur thermique seront encore autorisées, à condition de rouler avec un carburant synthétique coûtant quatre fois plus cher que l'essence normale. La menace pour les voitures électriques de l'industrie chinoise est donc toute relative.
Par ailleurs, les Chinois sont bien conscients que l'on ne les laissera pas envahir l'Europe avec des voitures fabriquées chez eux. Toutefois, les premières automobiles électriques chinoises fabriquées en Europe devraient sortir des chaînes de montage dès 2025. La France est en première ligne, tant Renault et Peugeot pèsent dans notre économie. Ces entreprises sont le prototype même des fabricants handicapés face aux nouveaux constructeurs chinois. Le coup stratégique potentiel que porterait à la Chine un recul sur le tout électrique constitue une raison supplémentaire d'inverser la tendance. Si l'aveuglement des États continue dans ce domaine, seule la sagesse de potentiels acheteurs servira de garde-fou : certains réaliseront peut-être (enfin) l'impossibilité qu'il y a de fournir de l'électricité pour un parc automobile exclusivement électrique, et donc la conséquence d'augmentation probable du prix du « plein d'électricité ».
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