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Date : 31-10-2025 23:34:21
"Comme une nouvelle explosion" : des victimes de l'attentat du DC-10 regrettent la "stratégie victimaire" de Nicolas Sarkozy après sa condamnation
Écrit par Guillaume Poisson
Publié le 30/10/2025
Depuis sa condamnation à 5 ans de prison, Nicolas Sarkozy et ses proches multiplient les déclarations sur une justice supposée "partiale" et une "volonté d'humiliation" à son égard. Deux victimes de l'attentat du DC-10, parties civiles lors du procès, qualifient sa stratégie de "victimaire" et évoquent "l'indignité" de l'ancien président.
Jeudi 25 septembre, tribunal correctionnel de Paris. Cela fait exactement 169 jours que les juges planchent sur ce qu'on appelle "l'affaire libyenne". Sur le banc des accusés, Nicolas Sarkozy. On lui reproche, entre autres, d'avoir organisé un pacte corruptif avec les proches du dictateur Mouammar Khadafi, alors qu'il se préparait à devenir président. Parmi les parties civiles, Danièle Klein, originaire de Nancy (Meurthe-et-Moselle), et Nicoletta Diasio, professeure de sociologie à l'Université de Strasbourg. La première a perdu son frère et la seconde son père dans l'attentat du vol DC-10 en 1989, qui avait fait au total 170 morts. Il avait été fomenté par le régime libyen.
Des mois d'audience, de témoignages, de révélations. "Je n'étais pas heureuse, car on ne peut jamais se réjouir quand quelqu'un est condamné à de la prison, mais j'étais soulagée que ça se termine enfin, nous explique aujourd'hui Nicoletta Diasio. Les gens ne se rendent pas compte à quel point c'est éprouvant d'être partie civile."
"Un mur de béton dans la figure"
Mais, très vite, la Strasbourgeoise déchante. Dès la sortie du tribunal, Nicolas Sarkozy égrène devant les caméras ce qui sera son argumentaire jusqu'aux portes de la prison, dix jours plus tard : ce jugement serait "une injustice", un "scandale". "On s'est pris un mur de béton dans la figure, estime de son côté Danièle Klein. On nous a gommés du paysage à partir du 25 septembre, à cause de la stratégie de communication de Sarkozy. Il s'est posé en victime."
Une semaine après le jugement, l'ancien président de la République poste une vidéo sur ses réseaux sociaux. Nouvelle déflagration pour les victimes - celles qui ont été reconnues comme telles par la justice. "Bien sûr, c'est une épreuve, dira-t-il dans une vidéo solennelle postée sur ses réseaux sociaux une semaine plus tard. Et je ne vous cacherai pas la difficulté de cette épreuve pour ma famille comme pour moi-même (...) Je voulais que chacun d'entre vous comprenne que je ne me laisserai pas faire, que nous allons vaincre parce que la vérité et l'innocence doivent triompher."
Rétrospectivement, Nicoletta Diasio voit même l'après-procès comme un nouveau traumatisme vécu plus de 30 ans après la perte de son père dans l'attentat. "C'était comme une nouvelle explosion. Cette posture victimaire est indigne d'un président de la République, même si je tiens à distinguer la personne de la fonction. C'était mesquin, triste, mais finalement dans la continuité de ce que j'ai pu voir de lui pendant le procès : d'une arrogance et d'un mépris incroyables vis-à-vis des 170 personnes tuées dans cet attentat."
Coupable d'avoir "bafoué la mémoire" des victimes
Lorsqu'éclate le début de l'affaire libyenne, en 2011, avec la sortie des premier articles de Mediapart, les deux femmes n'en reviennent pas. "C'est un moment de sidération car on repense aux dix dernières années, à ces scènes de rapprochement surréalistes entre l'Etat français et la Libye de Khadafi, retrace Nicoletta Diasio. Et on comprend pourquoi." Une image, surtout, leur revient à l'esprit : celle du colonel bédouin qui plante sa tente dans le jardin de l'Elysée, point d'orgue d'un rapprochement diplomatique en réalité entamé depuis les années Chirac. "Cette poignée de main, entre Sarkozy et Khadafi, ça avait été comme un coup de poignard."
Car il est alors établi que le responsable de l'attentat du DC-10 est le beau-frère du dictateur, numéro 2 du renseignement, Abdallah Senoussi. Celui-ci a été condamné à la prison à perpétuité en 1999 en France, mais il n'a jamais effectué sa peine, retranché derrières les frontières libyennes. Il lui était en revanche impossible de voyager en raison d'un mandat d'arrêt international.
Les articles de Mediapart, qui démontrent, documents à l'appui, que l'entourage de Sarkozy s'est employé à faire lever ce mandat d'arrêt contre la promesse d'une somme d'argent, ont décidé les victimes de l'attentat à se porter partie civile. "Sarkozy a marchandé le souvenir de nos proches disparus en échange d'un financement de sa campagne, estime Nicoletta Diasio. C'est l'idée même que nos morts aient pu constituer une monnaie d'échange qui nous a convaincus."
Le 19 septembre 1989, Gioacchino Diasio avait 51 ans quand il est mort dans l'explosion de l'avion du DC-10. Il était consultant dans une entreprise de télécommunications, et avait été officier à l'armée italienne, formé à Paris. Jean-Pierre Klein, lui, était un comédien et metteur en scène. Il s'était rendu au Congo pour préparer une pièce avec des comédiens locaux. Celle-ci racontait comment un dictateur fou dévorait son peuple. En 1989, il était âgé de 33 ans.
"Nicolas Sarkozy a pris la parole une fois au procès pour parler des victimes, se souvient Danièle Klein. C'était un bon discours mais on savait que c'étaient ses talents d'avocat : on ne peut pas lui enlever cette qualité qu'il a de savoir s'exprimer et d'emporter les gens." Depuis sa condamnation, il n'a pas évoqué une seule fois le sort des parties civiles.
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