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« Complément d’enquête » sanctionné, CNews favorisée : quand l’Arcom sacrifie l’audiovisuel public au profit de l’extrême droite
Par deux fois, l’émission « Complément d’enquête » s’est vue réprimander ces derniers mois par le régulateur des médias malgré un travail d’investigation de taille. En pleine commission sur l’audiovisuel public, ces décisions de l’Arcom interrogent : brimer une telle offre journalistique, sans motif sérieux, donne des gages à l’extrême droite.
Publié le 4 décembre 2025
Margot Bonnéry
Extraits :
L’Autorité de régulation de la télévision (Arcom) déraille. Cède-t-elle aux pressions politiques de l’extrême droite et de la droite, en oubliant son rôle, défendre le pluralisme et le journalisme de qualité ? Le jeudi 27 novembre, à quelques heures de la diffusion d’un Complément d’enquête consacré à CNews, France 2 a décidé de retirer précipitamment un passage sur les déséquilibres des temps de parole des personnalités politiques.
Il s’agissait de chiffres révélés un peu plus tôt par Reporters sans frontières (RSF). Selon cette étude, la gauche (PCF, LFI, PS, EE-LV) représenterait 60,13 % du temps d’antenne de nuit au mois de mars 2025 contre 1,62 % pour l’extrême droite. Et de jour, la donne s’inverse : la gauche tombe à 15,37 % contre 40,57 % pour l’extrême droite. La gauche parlerait donc aux heures où les Français dorment. Belle leçon de pluralisme…
L’Arcom conteste… sans contre-enquête
Complément d’enquête a retiré soudainement ces données après des contestations de l’Arcom sur le site internet du magazine Le Point. « On est un peu tombé des nues sur l’idée selon laquelle les temps de nuit seraient utilisés pour contourner la règle de pluralisme, est-il rapporté. RSF a travaillé sur un seul mois, mars 2025, à l’aide notamment d’un outil qui analyse les bandeaux d’antenne. L’Arcom raisonne normalement en trimestres et non en mois ».
Le gendarme de l’audiovisuel réfute les chiffres de RSF sans pour autant en apporter de nouveaux. Selon le média Les Jours, l’ONG lui aurait pourtant présenté son étude en amont sans qu’elle ne trouve à y redire. Ce qui pose deux problèmes. D’abord, le gendarme de l’audiovisuel émet une réflexion, avant diffusion, sur un programme, dans un magazine, et non sur son site. Cela s’appelle un moyen de pression.
Ensuite, que l’Arcom ne fournisse pas de contre-enquête est préoccupant : quelque que soit les résultats de CNews en matière de pluralisme sur un trimestre, le simple fait que la chaîne de Bolloré cache la gauche dans les recoins de la nuit pendant tout un mois est très problématique.
L’espèce de réprimande avant diffusion hors de tout cadre légal intervient à peine plus deux jours après que Martin Ajdari a été bousculé lors de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, et a été accusé de sanctionner davantage CNews que l’audiovisuel public. Un comble, quand on voit le nombre d’heures d’antenne du service public, celles de CNEWS, la défaillance systématique de l’un, la quasi-exemplarité de l’autre, que 60 % des Français plébiscitent.
Chez CNews, le temps de parole monopolisé par l’extrême droite
Au-delà du temps de parole, RSF a étudié la pluralité des journalistes (ou du moins de militants grimés en journalistes), chroniqueurs et intervenants sur CNews. « Le déséquilibre est très prononcé. L’écrasante majorité, plus de 70 %, des journalistes intervenants sont issus de médias dont la ligne éditoriale est plutôt marquée à droite voire à l’extrême droite », écrit RSF sur son site internet. Arnaud Froger, responsable du service investigation, affirme dans Mediapart maintenir ces données et ces conclusions. « C’est dans les moments où le journalisme est sous pression qu’il faut savoir résister », affirme-t-il.
Pour Sophie Taillé-Polian, députée Écologiste et Sociale du Val-de-Marne, l’Arcom prend une nouvelle voie depuis la décision du conseil d’État en 2023 sur le pluralisme. Pour le respecter, le régulateur « ne met pas tout en œuvre, il ne fait pas correctement son travail. Ce sont donc les ONG qui s’en occupent », expose-t-elle à L’Humanité.
La méthodologie sur laquelle l’Arcom s’appuie pour mettre en cause le rapport de RSF en question interroge. Dans un récent courrier adressé au nouveau président de l’autorité des médias, Martin Ajdari, la députée lui demande de rendre publiques les données sur lesquelles l’Arcom « fonde ses démentis des conclusions de RSF ». Sophie Taillé-Polian désire connaître « les instruments de contrôle permettant de vérifier les déclarations des éditeurs ».
Un courrier resté pour l’heure sans réponse. Comme elle, une bonne partie des députés de gauche n’ont de cesse d’envoyer des saisines à l’Arcom toutes les semaines sur différents sujets. Mais celles-ci sont systématiquement refusées. Pour rappel : le régulateur a pourtant le pouvoir de s’autosaisir si besoin, ce qu’il ne fait pas.
Quand le Sénat fait plier le régulateur des médias
Ce n’est pas la première fois que l’Arcom retoque le journalisme d’investigation. Complément d’enquête en avait déjà fait les frais suite à son émission sur les secrets du Sénat en juin dernier. Dans un premier temps, le gendarme des médias avait donné son aval sur la diffusion du magazine d’investigation.
Mais face aux pressions du Sénat et de son président Gérard Larcher, l’Arcom a préféré rétropédaler en mettant en garde France 2. « Que le régulateur des médias revienne sur ce qui a déjà été jugé est une première dans l’histoire de France Télévisions », juge un cadre de l’entreprise qui considère comme irréprochable cette émission sur le palais du Luxembourg.
Les priorités de l’Arcom en question
Alors qu’une partie de la droite et de l’extrême droite souhaite la mort de l’Arcom, l’autorité céderait donc aux pressions politiques. Et cela, alors qu’une commission d’enquête se tient actuellement à l’Assemblée nationale, à l’initiative d’Éric Ciotti, pour étudier le fonctionnement, le financement et la pluralité de l’audiovisuel public. Le premier auditionné n’était nul autre que Martin Ajdari.
Le gendarme des médias « semble vouloir sauver sa tête de la commission en donnant des gages au RN en tapant sur le service public », pointe le cadre de France Télévisions. Le tout en pleine guerre culturelle, notamment entre l’audiovisuel public et les médias détenus par les milliardaires comme Vincent Bolloré. « Les faits sont graves, écrit de son côté le député insoumis Aurélien Saintoul dans un communiqué de presse. Ils montrent une autorité qui vacille sous les pressions politiques, alors même que les signalements s’accumulent sans traitement sérieux. »
Cette charge interroge sur les priorités actuelles de l’Arcom. Comment faire confiance à une institution (censée être indépendante, on le rappelle) « qui efface ses décisions, les réécrit, et contredit ses propres textes ? », poursuit le député. La transparence doit être totale.
Pour Aurélien Saintoul et Sophie Taillé-Polian, le président du régulateur doit être à nouveau auditionné devant la représentation nationale. « Puisqu’une commission d’enquête est en cours, je demande que le rapporteur utilise ses prérogatives pour se procurer l’ensemble des documents afférents à cette affaire, écrit l’insoumis. Et si l’autorité a effectivement cédé à des pressions politiques, alors son président devra en tirer toutes les conséquences : la démission s’imposera. »
L’affaire est d’autant plus grave, que, rappelons-le, le président de l’Arcom est directement choisi par le président de la République. Cette reculade sur l’un des magazines les plus emblématiques et rigoureux du service public a de quoi interroger. L’Arcom a-t-elle choisi son camp, à droite toutes ?
Propos climatosceptiques, info erronée : depuis 2017, CNews a été épinglée 14 fois par l’Arcom.
https://www.humanite.fr/medias/arcom/complement-denquete-sanctionne-cnews-favorisee-quand-larcom-sacrifie-laudiovisuel-public-au-profit-de-lextreme-droite
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