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Date : 22-10-2025 13:43:26
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20/10/2025
Un super-État virtuel pour les multinationales : le nouveau projet fou de Bruxelles
La Commission européenne planche sur la création d’un 28e État membre totalement fictif, qui pourrait être doté de son propre droit des sociétés, droit des faillites et droit du travail. Toutes les entreprises européennes pourraient opter pour ce régime alternatif à la place de leur législation nationale. Il s’agit ni plus ni moins de créer un droit fédéral des affaires taillé sur mesure pour les multinationales – un potentiel État virtuel du dumping réglementaire, pour le plus grand bonheur de nos patrons. Un projet sans équivalent au monde, qu’aucune entreprise n’a obtenu, pas même aux États-Unis sur leur propre territoire. Un paradis fiscal, juridique et social virtuel, sous drapeau européen, pourrait-il être proposé par la Commission en 2026 ? Des États s'y opposeront-ils ? On vous explique tout !
La Commission est en passe de doter le capitalisme européen d’une arme de destruction massive contre les droits sociaux, la plus redoutable de l’histoire – devant l’euro et le libre-échange – qui anéantirait toute perspective de progrès social. Son nom de code : « 28e régime ».
Vous n’en avez pas entendu parler ? C’est normal : ce projet reste largement inconnu du grand public. Pourtant, à Bruxelles, le 28e régime est sur toutes les lèvres. Il circule dans les cabinets d’avocats et de lobbyistes, et a été repris par les plus hautes instances de l’UE : Enrico Letta l’a évoqué dans un rapport en avril 2024, Mario Draghi en a parlé dans un rapport en septembre 2024, et Ursula von der Leyen l’a même annoncé officiellement dans son discours sur l’état de l’Union du 10 septembre 2025 : « Pour les entreprises innovantes, nous préparons le 28e régime… ».
Alors, de quoi s’agit-il au juste ? En clair, ce 28e régime consisterait à créer ex nihilo un cadre juridique fédéral optionnel, englobant les principaux pans du droit des affaires (sociétés, faillites, fiscalité, travail). Théoriquement, la souveraineté des États serait préservée, puisque ce régime n’entraînerait pas la suppression des lois nationales – chaque entreprise restant libre de ne pas y souscrire. Mais qui peut croire qu’une entreprise refusera le cadre le plus souple et avantageux jamais conçu ? L’objectif assumé est en effet que ce 28e régime soit plus favorable que tous les droits nationaux existants réunis. S’il tient ses promesses, l’adoption massive de cette « option » rendrait de fait caducs les droits nationaux (obsolètes par abandon). En pratique, on obtiendrait un véritable droit fédéral unifié des affaires, sans le dire ouvertement.
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Le dernier jour de la consultation, de nombreuses organisations patronales, la plupart basées à Bruxelles, se sont manifestées en faveur du projet et notamment la plus puissante d’entre elle, la table ronde des industrielles (ERT). On peut aussi trouver les commentaires de DigitalEurope, SME United, de eBay, de Deutsche Börse Group, de la confédération des entreprises suédoises et bien sûr de EU-Inc à l’origine de l’initiative.
Du côté français, parmi les contributions notables figurent celles de la CPME (organisation patronale des PME) et du Cercle Montesquieu (club de juristes d’entreprise proche du Medef) – deux fervents soutiens de la proposition. Le Cercle Montesquieu estime même qu’il faudrait aller beaucoup plus loin dans l’harmonisation du droit des affaires, en couvrant des pans plus larges que le projet actuel.
Au final, une écrasante majorité des répondants se prononcent en faveur du 28e régime. Fait notable, un consensus se dégage pour refuser que le 28e régime soit instauré par une directive européenne (ce qui exigerait une transposition dans chaque État, avec le risque de divergences supplémentaires). Or la Commission, dans son questionnaire, laissait entendre qu’elle privilégiait justement la voie de la directive – tout comme le Parlement européen dans son rapport préliminaire. Ce choix procédural pourrait donc devenir un point de friction à l’avenir.
Des syndicats et des partis de gauche aux abonnés absents
L’autre enseignement frappant de cette consultation, c’est l’absence quasi totale des syndicats et de la gauche politique dans le débat. Seulement deux syndicats ont contribué publiquement : la confédération allemande DGB, ainsi que la confédération danoise (the Danish Trade Union Confederation), qui ont vivement dénoncé un projet menaçant les droits des salariés. La DGB rappelle qu’au début des années 2000, le statut de Société Européenne (SE) (voir plus haut) avait été massivement utilisé pour priver les salariés allemands de ce droit (dans 83 % des cas, les entreprises ayant adopté le statut SE l’ont fait pour esquiver la participation des employés).
Mis à part ce cri d’alarme venu d’outre-Rhin, c’est le silence radio du côté des travailleurs. Aucune contribution des grands syndicats français (pas un mot de la CGT, de la CFDT, de FO ou de la CFTC), pas davantage de réactions officielles des partis de gauche. Pendant ce temps, le patronat, lui, s’est bien mobilisé : comme on l’a vu, le Medef (via BusinessEurope), France Digitale, la CPME, le Cercle Montesquieu et consorts ont répondu présents à la consultation et multiplié les réunions avec Bruxelles.
Pour être juste, signalons qu’au niveau européen, la Confédération européenne des syndicats (CES) a réagi dès mars 2025, en rejetant fermement l’idée d’inclure des dispositions de droit du travail dans un 28e régime. La CES a prévenu qu’elle s’opposerait à tout dispositif qui permettrait de contourner les protections sociales existantes, le droit du travail national ou les conventions collectives au prétexte d’un régime optionnel supplémentaire.
Plus inquiétant encore : aucun responsable politique de premier plan ne semble disposé à monter au front. L'eurodéputée macroniste Valérie Hayer et le vice-président exécutif pour la prospérité et la stratégie industrielle de la Commission européenne, Stéphane Séjourné peuvent même se vanter tranquillement sur les réseaux sociaux du lancement du 28e régime, sans rencontrer la moindre contradiction.
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