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Date : 23-10-2025 18:50:30
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20/10/2025
Un super-État virtuel pour les multinationales : le nouveau projet fou de Bruxelles
Une proposition basée sur un mensonge et un postulat erroné
Pour conclure, il est crucial de démonter le mythe fondateur qui sous-tend la promotion du 28e régime. L’argument intuitif mis en avant, c’est que les États-Unis d’Amérique, eux, seraient un marché entièrement intégré – un seul pays, donc un seul cadre légal – et qu’il y serait bien plus simple de faire des affaires qu’en Europe. D’où l’idée que l’UE devrait s’aligner sur ce modèle en unifiant davantage ses règles. Or, cette prémisse est entièrement fausse.
D’abord, il est absurde d’imaginer qu’une entreprise se déploie simultanément dans les 50 États d’un pays-continent comme les États-Unis. Mais surtout, et c’est là le cœur du problème, les États-Unis n’ont pas un environnement juridique unifié – loin de là. En réalité, les États-Unis sont un État fédéral composé de 50 États… dotés chacun de leur propre législation. Ils possèdent 50 systèmes juridiques différents rien que pour le droit des sociétés, le droit du travail, la fiscalité, le droit bancaire, etc., en plus des lois fédérales nationales. On se retrouve donc avec du 50 + 1 dans chaque domaine ! 51 droits des sociétés, 51 droits fiscaux, 51 droits bancaires, etc. Le droit du travail fédéral américain fixe par exemple quelques standards minimaux (salaire minimum, etc.), mais chaque État impose ses propres règles au-delà de ce plancher.
En pratique, le droit américain est d’une complexité redoutable. Les lois y atteignent des milliers de pages, et l’accès aux informations juridiques y est difficile et coûteux (les bases de données publiques sont lacunaires, les bases privées hors de prix). Ce n’est pas un hasard si c’est « le pays des avocats » : pour une entreprise, il est quasiment impossible d’opérer sur plusieurs États américains sans s’entourer d’une armée de juristes. La fiscalité américaine, elle aussi, n’a rien à envier à la nôtre en termes d’opacité : selon l’indice international de complexité fiscale (Tax Complexity Index), les États-Unis et la France obtiennent un score similaire. En clair, chaque société doit composer avec des règles fiscales et sociales qui varient d’un État à l’autre – tout comme une entreprise européenne doit s’adapter aux lois de chaque pays où elle est implantée.
Les économistes américains le reconnaissent d’ailleurs : il existe aux États-Unis d’importantes « frictions » dues aux divergences de réglementation entre États. Une partie de la recherche académique s’attache à mesurer l’impact de ces barrières internes sur la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes à l’intérieur du marché américain – un marché prétendument unifié, mais en réalité très fragmenté.
Et les résultats de ces études sont édifiants : le marché unique européen est aujourd’hui une zone plus intégrée économiquement que le marché intérieur des États-Unis, aussi bien pour les biens que pour les services. Au moins deux études récentes l’affirment. L’une d’elles (1) – pourtant citée par le FMI et par Ursula von der Leyen pour alimenter le discours inverse – conclut noir sur blanc que les barrières réglementaires intra-UE sont moins élevées que celles existant entre les États américains. Dans son discours de 2025, Von der Leyen s’alarmait que « les barrières subsistant au sein du marché unique équivalent à des droits de douane de 45 % sur les marchandises et 110 % sur les services », reprenant des chiffres d’un rapport du FMI. Or, l’étude universitaire citée en source par le FMI montrait exactement l’inverse : sur ces mêmes indicateurs, les entraves sont moindres dans l’UE qu’aux États-Unis !
Le récit d’une Europe bureaucratique et « enfer réglementaire » face à un Eldorado américain dénué de contraintes est donc un fantasme pur et simple.
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