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Date : 12-03-2025 21:45:49
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12/03/2025
La liberté scientifique en plein paradoxe
Alors que l’on se mobilise pour la liberté scientifique menacée par Trump, le nouveau patron de la recherche biomédicale américaine annonce la restaurer. Décryptage avec le conseil de Raison sensible.
Brice Perrier
Stand up for science. En ce vendredi 7 mars où j’écris ces lignes, tel est le mot d’ordre parti des Etats-Unis. Il a gagné la France, où les scientifiques se mobilisent pour marcher en soutien de leurs confrères américains maltraités par Donald Trump. Le mois dernier, une vague brutale de licenciements a frappé le milieu de la recherche dans le cadre du plan d’économie drastique mis en œuvre par Elon Musk dans l’administration fédérale. Une purge qui s’est notamment traduite par 1 200 personnes mises au chômage, dont un grand nombre de chercheurs, aux NIH (National Institutes of Health), les instituts nationaux de recherche médicale et biomédicale.
Si Mediapart indique que le renvoi de scientifiques concerne principalement des jeunes en contrat précaire (en fait en période d’essai), le site d’information relève aussi que le domaine de la recherche sur le climat est particulièrement touché. Les chercheurs des Etats-Unis ne se sont d’ailleurs pas rendus à la dernière cession du GIEC. Sur France Inter, la paléoclimatologue Valérie Delmotte dénonce une « chasse aux sorcières » qui lui fait penser à « la révolution de Mao, l'Allemagne de 1933 ou la France de Vichy ». On déplore également le bannissement de certains termes par l’administration Trump dans les demandes de subventions de projets de recherches, comme équité, égalité, inclusion, femme, minorités ou stéréotypes, tous apparentés au wokisme. Cela concernerait donc plutôt les sciences sociales, mais l’immunologiste Alain Fischer alerte sur « l’absurdité » qui conduirait désormais à vous retoquer si vous voulez « comparer les conséquences d’une maladie entre hommes et femmes ».
Contre l’obscurantisme
Valérie Delmotte et Alain Fischer figurent parmi les signataires d’une tribune publiée dans Le Monde pour défendre « les sciences face aux nouveaux obscurantismes ». S’érigeant ainsi en « défenseurs des libertés académique et scientifique », ses auteurs appellent solennellement à se mobiliser pour ces « valeurs essentielles à nos démocraties ». Et face à cette vague obscurantiste venue des Etats-Unis qui pourrait « préfigurer ce qui nous attend si l’on ne réagit pas à temps », ils rappellent « l’importance des faits scientifiques, notamment pour la santé, la compréhension des inégalités sociales, les défis climatiques et la bio-diversité ».
Auteur de L’Obscurantisme au pouvoir, je note que la tribune n’aborde pas la problématique d’entrave à la liberté scientifique qui se trouve au cœur de mon ouvrage. Pourtant, ce nouvel obscurantisme concerne au moins autant la France que les Etats-Unis. Il se manifeste par un débat inexistant voire empêché sur un certain nombre de sujets controversés, en premier lieu en matière de santé. Par exemple à l’Académie des sciences où je débute mon ouvrage par un entretien avec son ex-secrétaire perpétuelle, Catherine Bréchignac. Elle m’apprend que des débats qui auraient été très importants pour la gestion de la crise du covid y ont été impossibles à mener. Une académie qu’a dernièrement présidée Alain Fischer, ex-responsable de la stratégie vaccinale française, dont je décris la fâcheuse tendance à nier la problématique des effets indésirables des vaccins en la considérant comme un non-sujet ne méritant même pas d’être discuté.
De l’obscurantisme, qui n’a pas attendu Donald Trump pour sévir.
La liberté d’expression au programme des NIH
Paradoxalement, alors que l’on s’inquiétait en France pour des libertés académiques et scientifiques menacées par le nouveau président des Etats-Unis, à Washington, celui que Trump a choisi de nommer pour diriger les NIH, l’épidémiologiste et professeur en économie de la santé à l’université de Stanford Jay Bhattacharya, a présenté le 5 mars au Sénat sa candidature en défenseur de ces libertés. Et ce après avoir été personnellement marginalisé par les anciens responsables des NIH, pour avoir critiqué le bien-fondé de mesures sanitaires durant la pandémie. Notamment dans la Déclaration de Great Barrington qui recommandait d’arrêter les confinements généralisés pour privilégier une protection ciblée des personnes à risque. Jay Bhattacharya en fut l’un des trois co-auteurs avec les professeurs d’épidémiologie Sunetra Gupta, de l’Université d’Oxford, et Martin Kuldorff, qui été exclu de l’université d’Harvard où il enseignait à la suite de ses prises de positions non conformes à la pensée dominante.
Aux sénateurs qui l’auditionnaient, Bhattacharya a rappelé qu’ « au cours des dernières années, les hauts responsables des NIH ont supervisé une culture de dissimulation, d’obscurcissement et de manque de tolérance envers les idées qui différaient des leurs ». Il a donc d’emblée déclaré vouloir « instaurer une culture de respect de la liberté d’expression et de la dissidence scientifique au sein des NIH ». Cela constituera l’une de ses cinq priorités, avec la lutte contre les maladies chroniques, l’innovation, la question majeure de la réplicabilité de la recherche biomédicale - qui pose un grave problème de fiabilité et d’intégrité - et enfin la réglementation des recherches risquées susceptibles de provoquer une pandémie. Comme cela pourrait avoir été le cas pour le covid avec des travaux de gain de fonction sur les coronavirus financés par les NIH aux Etats-Unis et en Chine.
Remise en avant de l’essence de la science
Le scientifique nommé par Trump à la tête du principal financeur de la recherche biomédicale mondiale défend donc cette liberté scientifique que l’on s’insurge, en France, de voir menacée. Dans ces circonstances, j’ai recueilli l’avis de membres du conseil scientifique de Raison sensible en leur communiquant le compte rendu de l’intervention de Bhattacharya réalisé par la journaliste Maryanne Demasi. « Il faudra juger sur les faits, mais c’est intéressant de voir remettre en avant la question du débat scientifique et de la liberté d’expression par cette personne qui a elle-même été ostracisée, comme on le voit de plus en plus », estime ainsi le chercheur en santé publique Pierre Meneton après la lecture de l’article.
Le virologue Jean-Michel Claverie, qui a travaillé aux NIH dans les années 1990, considère pour sa part que « les réponses de Bhattacharya aux sénateurs vont totalement dans le bon sens. Ce qu’il dit sur la dissimulation me semble malheureusement vrai du fait de collusions opaques des NIH avec la FDA (agence du médicament américaine), les lobbys pharmaceutiques, l’OMS et même les Chinois comme on l’a vu pour les travaux sur les virus réalisés à Wuhan. Les NIH ayant par ailleurs tendance à favoriser le conservatisme scientifique de certains de leurs pontes, je trouve formidable que l’on y redéfinisse le débat, et donc la dissidence, comme l’essence de la science. C’est conforme à mon idéologie épistémologique selon laquelle le moteur, le but de la science, c'est de corriger les erreurs du passé. Donc de contester en permanence la doxa établie. »
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