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Date : 04-11-2025 12:19:10
Boris Cyrulnik: «La haine est résiliable, c’est possible!»
Le célèbre neuropsychiatre nous a reçus chez lui pour évoquer les origines de la violence masculine liée à une défaillance du chromosome Y. Il plaide pour une prise en charge en urgence des petits garçons violents pour éviter de futurs féminicides.
Patrick Baumann
Publié le 21 janvier 2024
Extraits :
- Vous écrivez: «Nous avons perdu tous les rituels nous permettant de nous mettre à la place de l’autre et de se dire face à lui: «Je ne peux pas tout me permettre.» C’est ce qui arrive aujourd’hui dans le conflit israélo-palestinien?
- Boris Cyrulnik: Malheureusement oui, chacun ne pense qu’à soi, à sa petite communauté religieuse, financière, idéologique et ignore totalement ce qui se passe chez le voisin. C’est l’arrêt de l’empathie et c’est tragique. Quand on n’arrive plus à se représenter le monde de l’autre, on peut tout se permettre!
- Le gouvernement israélien franchit-il cette frontière en bombardant des civils innocents?
- Le 7 octobre a été un pogrom incroyablement barbare. C’est évident qu’on franchit cette frontière en bombardant des gens innocents. Je comprends votre réflexion, mais elle est due aussi au fait qu’on réagit toujours ainsi quand ce sont des juifs qui sont dans la guerre. Il y a actuellement au Yémen une catastrophe humanitaire qui a fait 200 000 morts. Je n’entends pas une seule protestation. Quand Bachar el-Assad a massacré son propre peuple, je n’ai pas vu qu’on soit descendu dans la rue.
- Les animaux se bagarrent, les hommes font la guerre. S’entretuer, se détruire, une spécificité humaine?
- Oui. Nous, on se bagarre et on fait la guerre. Les êtres humains se caractérisent par leur extrême violence, mais je pense que si les hommes, pas les femmes, n’avaient pas été violents, l’espèce humaine aurait disparu. Il y a environ deux cent mille ans, il restait environ 13 000 squelettes humains sur la planète. On n’était pas en voie de disparition, mais une espèce disparue. Les hommes ont fabriqué des armes, tué des animaux dix fois plus gros et plus forts qu’eux. Dès que les hommes inventent des armes, hop, les femmes recommencent à faire des enfants et la société s’épanouit.
- On associe votre nom au concept de résilience. Sera-t-elle envisageable pour les jeunes Israéliens et Palestiniens traumatisés par cette guerre?
- Je l’espère. Pour l’instant, ils sont dans la résistance, c’est-à-dire dans la synchronie. On m’attaque, je me défends. La résilience, c’est la reprise d’un nouveau développement après le fracas. Toutes les guerres finissent par se terminer un jour ou l’autre. Il n’y a plus de haine entre les Français et les Allemands. La haine est résiliable. C’est possible.
- Il faudra être patient?
- Pas nécessairement. Quand François Mitterrand a pris la main de Helmut Kohl, ce sont deux hommes qui décident qu’on ne peut plus se faire la guerre. Et cela a provoqué un bouleversement culturel. Il suffit parfois d’un infime mouvement. Serge Moscovici, qui était un grand nom de la psychosociologie, disait que 3% de la population, bien déterminée, peut déclencher un processus psychosocial.
- Vous écrivez qu’un petit garçon qui, durant les mille premiers jours de sa vie, grandit dans un environnement carencé en relations humaines peut devenir violent à la suite d’un dysfonctionnement cérébral. Ce constat est effrayant. On fabrique des bombes en devenir dans certains milieux?
- Tout à fait. Les hommes passent à l’acte, les femmes se servent de leur cerveau différemment. Elles sont plus émotionnelles, mais comme elles maîtrisent mieux la parole, elles contrôlent mieux l’émotion, alors que chez un homme dont les mille premiers jours de vie se sont déroulés dans un milieu carencé, l’amygdale, qui est le socle neurologique des émotions insupportables, comme la haine, l’angoisse, la rage, la violence, est hypertrophiée. Parfois dix fois plus que la normale.
https://www.illustre.ch/magazine/boris-cyrulnik-la-haine-est-resiliable-cest-possible-671714
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