Après Hope (2015), qui nous plongeait dans l’Afrique des migrants, puis Camille (2019) avec, déjà, Nina Meurisse – en jeune journaliste partie couvrir le conflit en Centrafrique –, Boris Lojkine réinvente le film social et en fait un thriller des plus tendus et bouleversants, en collant au corps et au visage d’un jeune homme doux et affolé. De Paris, il fait une ville étrangère où chaque artère, chaque mètre d’asphalte mouillé, chaque livraison et chaque rencontre est potentiellement dangereuse. Plus que tout autre véhicule, le vélo épouse le chaos de la ville, et le metteur en scène a choisi d’autres vélos (destinés aux prises du son et de l’image) pour suivre Souleymane, son héros, et le nôtre.
Rarement, un film a si bien fait de l’empathie son moteur. Nous voilà, tour à tour, à la place de ceux qui commandent des repas et veulent qu’ils arrivent vite et chauds ; à la place du livreur qui joue sa vie et son avenir. Une fille pleine de morgue (oui, cela pourrait être nous) refuse de réceptionner sa commande à la porte de son appartement haussmannien. Sait-elle qu’à cause de cela l’application peut fermer ce compte de livreur assurant la survie de Souleymane ? Il y a aussi ce moment d’humanité absolue : le jeune Guinéen se retrouve dans le salon d’un vieux monsieur abandonné par un fils qui se contente de lui commander à manger à distance. Ils sont simples et beaux à pleurer, ces trois mots échangés entre ces deux exclus, entre Paris et la Guinée-Conakry. Elles sont atrocement sadiques, en revanche, les piques d’une poignée de policiers qui « taquinent » Souleymane pour passer le temps… On est en apnée, et puis le Guinéen, dont chaque supplication brise le cœur, peut repartir, et courir pour tenter d’attraper ce car vers le centre d’accueil où, enfin, un peu de chaleur, une couche et un repas l’attendent. Il demande toujours le même lit à côté d’un Arabe amical. « Nous avons l’habitude de dormir ensemble » : un résumé magnifique de l’entraide entre damnés de la terre…
Au-delà de la mise en scène en immersion, l’écriture est d’une précision chirurgicale. Le suspense grandit au fil de cette chronique du combat pour rester digne en quarante-huit heures chrono. Avec sa coscénariste Delphine Agut, Boris Lojkine s’est ouvertement inspiré du cinéma roumain, notamment de l’exceptionnel Mort de Dante Lazarescu (de Cristi Puiu, en 2005), pour raconter par le menu, minute après minute, les efforts d’un personnage qui se débat contre un système, une ville, le mépris des restaurateurs et des injonctions à répétition qui l’oppressent. Le tout tendu vers la scène finale, cet entretien, donc, où, d’abord, Souleymane va mentir, face à une Nina Meurisse superbe de (fausse) dureté en fonctionnaire de l’Ofpra – Office français de protection des réfugiés et apatrides. Quelle est la vérité de Souleymane ? Lui donne-t-elle le « droit » d’être accueilli en France ? Le réalisateur nous questionne, nous aussi, en nous jetant littéralement ce choix au visage. La fièvre, le mouvement perpétuel restent en mémoire pendant que nous écoutons, comme cette fonctionnaire, l’histoire du jeune homme et de sa maman. Et la seule manière de l’interprète, Abou Sangare, de prononcer le mot « maman » est, il n’y a aucun doute, le plus bouleversant moment de cinéma de l’année.
Distribution
Abou Sangaré
Nina Meurisse l'agente de l'OFPRA
Younoussa Diallo
Khalil
Amadou Bah
Boris Lojkine
Durée 1h33
Début séance 18h05
Grâce à mes cartes Télérama séance à 4€ pour le festival Télérama
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